La Poésie Satirique

Publié le 30 janvier 2022 à 11:47

Les poèmes satiriques voulaient être un genre à part

La poésie française se montrait autrefois très préoccupée de rentrer dans un genre bien défini et de ne pas introduire dans celui dont elle avait fait choix des qualités d’un autre genre. L’épitre, par exemple, devant rester tempérée et familière, s’interdisait tout mouvement lyrique ; l’élégie n’était jamais que « tendre » et « plaintive » ; l’ode se réservait « l’éclat », l’allure impétueuse et le...

La poésie française se montrait autrefois très préoccupée de rentrer dans un genre bien défini et de ne pas introduire dans celui dont elle avait fait choix des qualités d’un autre genre. L’épitre, par exemple, devant rester tempérée et familière, s’interdisait tout mouvement lyrique ; l’élégie n’était jamais que « tendre » et « plaintive » ; l’ode se réservait « l’éclat », l’allure impétueuse et le sublime « désordre » ; la description elle-même formait un genre à part, et les anciens recueils de morceaux choisis distinguent la poésie descriptive de la poésie narrative. Extrait de « Victor Hugo et la grande poésie satirique en France » de Paul Stapfer, ainsi que ce qui suit :

Qu’était-ce alors que la satire ? Une espèce de sermon en vers, ressemblant fort à la sage épître morale assaisonnée d’un peu plus de malice et de raison piquante. Parfois elle s’indignait, se souvenant que l’indignation est son antique muse ; mais cette indignation n’avait guère de verve naturelle et spontanée. C’était un exercice de rhétorique, contenu dans certains thèmes traditionnels, simulant la colère comme une loi du genre, cultivant l’hyperbole comme une figure, d’autant moins sérieux qu’il feignait de s’emporter davantage ; où l’on admirait en souriant la virtuosité de l’artiste, mais où l’on ne sentait point la sincère ardeur d’une âme vraiment blessée et souffrante. Des pages spirituelles, des fragments oratoires, de la belle prose rimée : voilà ce qu’a donné à notre littérature l’ancienne satire classique. Dans l’échelle de la poésie, quand on cherchait ce qui occupe le rang le plus bas, on ne pouvait hésiter qu’entre deux choses prosaïques presque au même degré : le poème didactique et la satire.

[…]

Victor Hugo est notre plus grand poète satirique, la satire poétique n’étant, ne nous lassons pas de le répéter, qu’une chanson de la lyre, plus sévère et plus rude. On a remarqué que, dans l’expression tendre et passionnée de l’amour, ce grand poète n’est point le premier ; il éblouit, il ne touche pas, il parle moins au cœur qu’à l’imagination. Personne, au contraire, ne l’égale dans l’expression des sentiments violents et sombres, l’indignation, la colère, la haine, le mépris.

 

On voit, chez d’autres poètes français, briller, comme par éclairs, la grande poésie satirique ; mais le seul qui puisse être comparé de près et avec suite à Victor Hugo, c’est le vieil auteur des Tragiques, Agrippa d’Aubigné.

Poète conscient et réfléchi, Victor Hugo se rendait très bien compte de la révolution qu’il a eu l’éternel honneur de faire dans la satire, devenue un des modes de la poésie lyrique, après être restée, durant tant de siècles, un discours littéraire ou un sermon moral. Une pièce des Quatre Vents de l’Esprit (I, 5) précise en ces termes la différence :

 

La satire à présent, chant où se mêle un cri,

Bouche de fer d’où sort un sanglot attendri,

N’est plus ce qu’elle était jadis dans notre enfance,

Quand on nous conduisait, écoliers sans défense,

A la Sorbonne, endroit revêche et mauvais lieu,

Et que, devant nous tous qui l’écoutions fort peu,

Dévidant sa leçon et filant sa quenouille,

Le petit Andrieux, à face de grenouille,

Mordait Shakespeare, Hamlet, Macbeth, Lear, Othello,

Avec ses fausses dents prises au vieux Boileau.

 

[…]

Victor Hugo n’a jamais séparé, ni dans sa doctrine ni dans sa pratique, la puissance de haïr de la puissance d’aimer. Il a bien vu qu’en vérité c’est une seule et même chose ; si l’antithèse, qui est une des lois fondamentales de sa pensée, est souvent aussi une loi de la nature, elle éclate ici dans sa matérielle réalité. En fait, la haine et l’amour ne se conditionnent pas moins nécessairement que l’ombre et la lumière.

 

Nous sommes rugissants et terribles. Pourquoi ?

Parce que nous aimons.

 

Pourquoi la satire de Victor Hugo, comme celle du farouche huguenot Agrippa d’Aubigné, est-elle infiniment plus passionnée que la satire de Mathurin Régnier ou de Boileau ?

 

Comme elle a plus d’amour, elle a plus de colère.

Extrait du livre :  « Victor Hugo et la grande poésie satirique en France » de Paul Stapfer

 

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