L'Otcherk

Publié le 18 février 2022 à 19:54

L'Otcherk - un genre littéraire se raccordant à la factographie :

Ce mot signifie à la fois une étude et une esquisse au sens pictural, sans pour autant abolir l’esprit du narrateur, la tension évènementielle, ni le jeu stylistique. Simplement, il évite toute dissimulation derrière un procédé narratif, mais les explicite sous forme de problèmes vrais, existants et traités sur un mode discursif qui se détourne du récit romanesque.

L’imaginaire se trouve irrémédiablement écarté dans l’otcherk. Tension extrême pour l’auteur, aussi bien existentielle qu’artistique, de devoir ne pas s’ouvrir à la tentation narrative et trouver un attrait à la vie telle qu’elle est, dans sa plus pure véracité.

L’otcherk se trouve ainsi ramené le plus couramment du monde à des essais, reportages, notes de voyages, portraits, comptes-rendus, mémoires personnelles ou historiques, transcriptions de conversations et les recherches de la vérité dans tous les domaines, y compris les plus utopistes. Les domaines privilégiés étant scientifiques, philosophiques, ethnographiques, mythologiques, bibliques, politiques et sociaux en s’écartant du classicisme périmé et du romantisme trop idéaliste, mais également de l’imaginaire et de l’abstraction. On écrit dans ce genre là sans prendre en compte la fonction émotive ou la fonction esthétique.

Selon « Remarques sur la factographie en Russie » de Leonid Heller - Le Mirage du Vrai ; Leonid propose un schéma (fig.1) qui présente les champs d’application des divers genres poétiques et littéraires. On constate que champ de l’otcherk est très concentré vers le bas, et moins il prend de la hauteur, plus il est propice à être pragmatique. Le champ A inclus un ou plusieurs genres se situant dans la partie ovoïde et pouvant s'en écarter au-delà.

 Belletristika = Belletristique = prose d’art, narrative, débridée et grand public.

La meilleure traduction de l’otcherk est : « Prose sans intrigue » quand elle fait abstraction du romanesque tout en restant poétique. D’autres le traduiront par « genre du vrai » ou « littérature factuelle »

Les champs tels qu’ils sont dessinés peuvent varier dans la forme, mais il faut retenir que la partie verticale gauche du cadre est assimilable à un axe d’ordonnées allant de 0% à 100% pour quantifier la fiction qui s’immisce dans les récits littéraires. C’est à dire que plus on évolue vers le haut à travers les divers champs, plus on s’éloigne de la vérité à l’état pur…

Toujours selon Leonid Heller, la figure 2 montre la position oblique des trois genres se situant par rapport aux axes « vérité » et « fiction ».

En partant du principe de vouloir dire vrai à travers l’expression poétique, le risque est important de ne pas être lu ou vivement critiqué. Même Tolstoï a dû abandonner l’otcherk pour revenir à la fiction.

« La machine réaliste s'avère être curieusement facile à détourner au profit de la fiction la plus échevelée : les formalistes l’ont bien vu. Ils ont également compris l'attraction exercée par le « matériau » que manie la littérature chargée de « dire vrai pour conforter et attiser tes attentes d'un public qui participe de la même tradition cultu­relle. Cette démarche « réaliste » peut apparaître étrange à ceux qui appartiennent à une autre culture, mais le détournement qu'elle opère est rarement aperçu : ainsi tel critique français vante-t-il, « chez les Russes », « une prose sans images, parfois plate comme la steppe et si naturellement effacée devant son objet que le lecteur n'en remarque ni le style ni la forme ». Trente ans auparavant, le chef de file des formalistes, Vïktor Chklovski, avait déjà relevé, à propos du réalisme :

Les créations de Pouchkine et de Gogol ne sont pas entrées et, probable­ment, n’entreront jamais dans le cercle assez étroit des œuvres connues dans le monde entier. Le succès de Tolstoï est le succès d'une idée reli­gieuse, celui de Gorki, de l’idée sociale et de la biographie, celui de Dos­toïevski est double : les uns ont accepté ses idées philosophiques, les autres l’ont compris comme un auteur de « romans policiers ». La litté­rature russe » n’a créé ni Robinson Crusoé, ni Gulliver, ni Don Quichotte... La littérature russe était occupée à travailler le mot, la langue : elle a consa­cré infiniment moins d’attention que la littérature européenne, notam­ment anglaise, au problème de la fable (fabula) ».

Ce sont l’otcherk et les autres genres « sans intrigue » qui initient la littérature russe au travail sur le mot, sur la langue, sur la matière, qui lui font privilégier l'axe paradigmatique (le choix entre des moyens littéraires équivalents) au détriment de l’axe syntagmatique (l’organisation séquen­tielle et événementielle). Le mécanisme de ce choix n’est pas très différent de celui qui, selon Roman Jakobson, définit la poésie ou qui, si l'on emprunte les termes de Genette, décale la « fiction » vers la « diction ».

Extrait de https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_2001_num_71_1_2082

 

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