Limerick

Publié le 23 février 2022 à 19:21

Le Limerick : Sorte de haïku irlandais

Les “Limericks” sont des poèmes lubriques en 5 lignes qui parlent généralement d’une femme, mais quelle femme ! Ce sont les versions épouvantablement paillardes des berceuses pour enfant, c’est-à-dire qu’ils ne veulent rien dire… En tout cas, rien sans rougir. Poème bref de cinq vers, souvent humoristique, parfois obscène, construit sur un anapeste et une grille de rimes en AABBA, qui n’a de sens ...

Le limerick est donc un poème bref de cinq vers, souvent humoristique, parfois obscène, construit sur un anapeste et une grille de rimes en AABBA, qui n’a de sens que dans le jeu des mots forts qu’il met en scène, de façon répétitive, à l’instar d’une comptine ou d’une berceuse.

 

Un soir de 1944, dans un bar d’officiers en Angleterre, Bernard Citroën (le fils aîné d’André), qui était alors pilote dans la Royal Air Force, eut le malheur de citer une contrepèterie que son interlocuteur –un commandant anglais– ne parvint pas à décrypter. Vexé, furieux, l’Anglais « se lança dans un grand discours, me disant que chaque langue avait son génie, que l’anglais avait le génie du limerick, qu’un ancien élève d’Oxford ou de Cambridge se croirait déshonoré si au cours de son existence il ne pondait pas cinq ou six nouveaux limericks. Très excité par ses propres paroles, il déclara soudain qu’il défiait le meilleur écrivain ou poète de mon pays d’écrire en français un limerick acceptable. » Le lieutenant Citroën relève le défi (1). L’enjeu du pari est un double whisky. Il le gagne avec un (et un seul) limerick, intitulé « La belle Charlotte » :

 

Native de Vic-en-Badoit,

A la fête comme il se doit

S’en va la gentille Charlotte.

Sous sa robe point de culotte :

Qui te l’a dit ? Mon petit doigt.

(Alice à Zanzibar)

 

Dans Alice à Zanzibar, une anthologie de 226 limericks inédits écrits en français et 12 limericks traduits de l’anglais, l’écrivain Jacques Barbaut relève à son tour le défi. Ses limericks passent sans fard de Dolto à Cybelle et de Coco à Pamela, au fil de très suspectes galipettes verbales : tout cela n’a ni queue ni tête. Mais quel délice de vers licencieux !

 

Cette sapeure-pompière appelée Josiane

Remédiait à toutes les pannes

En tant que femme-fontaine

Elle n’avait aucune peine

A ouvrir en grand les vannes

 

Ou encore

 

Cette putain venue d’Hendaye

Avait tatoué ses tarifs autour de sa taille

Et pour le confort des sans-vue

Sur les reins et sur le cul

Elle s’était scarifiée en braille

 

Noblesse oblige : le limerick comme exercice philosophique.

 

Dans une postface qui brosse l’historique du genre en France, Jacques Barbaut avance la théorie suivante : cette forme poétique est si contraignante qu’elle touche à la métaphysique. Pour le dire plus clairement : il s’agit d’un quintil, (poème de 5 lignes et 2 rimes) qui doit obligatoirement mentionner un nom propre et chuter sur du salace. Il semblerait que ce genre, très prisé outre-manche, ait fait la joie des repas de noces : on portait le toast avec un limerick, histoire de mettre en train les mariés. De même, l’entrée dans un club se fêtait en levant le verre sur quelques vers bien troussés. Aucun gentleman ne se serait cru digne de porter ce nom sans avoir fait rimer deux mots grotesques avec une cochonnerie. Raison pour laquelle, en France, ceux qui s’intéressent au genre sont tous passionnés de non-sens.

 

Les « prolongements ontologiques et métaphysiques » du limerick ?

 

Jean-Claude Carrière, par exemple : Homme de cinéma et de théâtre, scénariste, acteur, adaptateur, conteur, auteur de Les Mots et la Chose, sous-titré Le Grand Livre des petits mots inconvenants, et d’un Dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugement, ou le Livre des bizarres, décrit le limerick comme un poème qui « dit quelque chose d’absurde, où il y a toujours un personnage qu’il faut nommer, avec des détails obscènes. C’est très anglais, voire irlandais, et longtemps réputé intraduisible, inadaptable. » Pour Jean-Claude Carrière « les prolongements ontologiques » du limerick sont « si nombreux », qu’il affirme ne point pouvoir les énumérer. Ces scabreuses fantaisies, de fait, inspirent un nombre considérable d’ouvrages érudits qui font remonter leur origine à l’antiquité gréco-latine et qui soulignent leurs affinités avec les « nursery rhymes », les comptines d’enfant, couplets à bouts rimés, dont les conclusions nonsensiques ne sont pas sans rappeler aussi des fatrasies d’Arras.

 

« Querelles des dactyles et des anapestes »

 

L’Oulipo, en la personne de Luc Étienne (1908-1984), ne pouvait que s’intéresser aux limericks car il y a du génie dans ces poèmes basés sur l’incongruité. L’année de sa mort, donc, Luc Étienne publie 19 poèmes de cul en forme de révérence : ce professeur de mathématiques-physique était Régent de fondation du Collège de Pataphysique (dont il fut notamment nommé Chef de travaux pratiques de Versification Holorime et Bouts Rimés) et tint au Canard enchaîné la rubrique de contrepèteries « Sur l’album de la Comtesse » de 1957 à 1984 (soit pendant 28 ans). « Auteur notamment de La Méthode à Mimile, ou l’Argot sans peine (qu’il cosigne avec Alphonse Boudard en 1970), […] acousticien et musicien, inventeur du palindrome syllabique ou phonétique, dont il laissa quelques enregistrements », Luc Étienne écrivit donc lui aussi des limericks, accompagnant leur publication de quelques mots d’excuse : « leur insolente puérilité, leur paillardise épouvantable [...] les effroyables qualités qui m’ont séduit dans ce genre détestable [...] ces misérables productions, que je vous ai communiquées dans un moment d’aberration...»

 

« Limerick is the dirtiest thing »

 

Il fallait que la mémoire de Luc Étienne soit célébrée. Jacques Barbaut, qui reprend le flambeau, s’y emploie en signant à son tour de splendides « à-peu-près phonétiques » avec une euphorie contagieuse. A le lire, on se prend au jeu. C’est une poésie transmissible, porteuse de mots qui donnent la fièvre. Dans la postface de son ouvrage, toute remplie de citations jouissives, Jacques Barbaut compare cette magie à celle des murs de pissotières où les dessins laissés par des inconnus suscitent l’inspiration de visiteurs qui y rajoutent des détails ou des commentaires : le graffiti vire au cadavre exquis. Chacun devient poète à son tour, participe, ajoute sa rime ou son numéro… C’est d’ailleurs comme une maladie que Jacques Barbaut a pris le virus : en 2008, alors qu’il se promenait dans le XIXe arrondissement, avisant par hasard un livre abandonné sur un banc il l’ouvrit. L’introduction disait : « Le limerick est la chose la plus sale qui se soit passée, parmi les formes littéraires anciennes, depuis les graffitis qui furent trouvés à Pompéi. »

 

« Il existe trois sortes de limericks : les premiers sont les limericks que l’on peut dire devant les dames, les deuxièmes sont ceux que l’on peut dire devant les dames et les hommes d’Église, les troisièmes étant les limericks. »

 

A LIRE : Alice à Zanzibar, Jacques Barbaut, éditions Aethalides. Collection Freaks.

 

IMAGES galantes et scènes grivoises : https://www.abebooks.com/Images-Galantes-Sc%C3%A8nes-Grivoises-Portraits-Femmes/17928847623/bd

 

EXTRAITS de textes : https://www.liberation.fr/debats/2017/12/13/je-limerique-tu-limeriques-limeriquons-nous_1811349/

Ainsi que : https://diacritik.com/2017/12/13/les-limericks-poemes-dont-lear-etait-le-roi/

 

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